.:: Chronique 10. Le
retour de la vengeance II ::.
7 mars 2004, El Chui, frontière
Uruguay - Brésil
Je
me suis finalement décidé à écrire
une dixième chronique afin de partager une dernière
fois mes aventures de belge des tropiques une fois. Au bout
de presque quatorze mois de pérégrinations,
je m’apprête en effet à réintégrer
ma vie sédentaire d’homo sapiens bruselus modernus.
J’ai déjà acheté le billet d’avion
et mon retour est fixé le lundi 22 mars à
11:25 du matin. Il s’est passé pas mal de choses
depuis que j’avais décidé de rester
à Buenos Aires pour chercher du travail, il y a de
cela quatre mois. Je n’ai d’ailleurs presque
jamais autant bougé que depuis que j’avais
décidé de rester...
Les trois mois de recherche active d’emploi
n’auront finalement pas donné grand chose.
C’est, je le confirme, une grande aventure de trouver
un travail encore libre et sauvage en Argentine pour le
moment ! Je pensais pouvoir profiter d’un bon contact
dans le monde de la presse buenosairessienne (répéter
rapidement dix fois) mais j’ai assez vite déchanté
quand elle annula notre rendez-vous pour la quatrième
fois consécutive... La cinquième aura finalement
été la bonne, du moins pour me faire comprendre
qu’à mon âge, il fallait arrêter
de croire au père noël. Armé d’un
bon CV traduit en espagnol, je me suis alors lancé
à l’assaut du marché de l’emploi
argentin. Taïhaut !
Au
bout de deux mois d’envois massifs de CV, j’ai
signé un traité de paix provisoire et suis
parti 10 jours au sud du Chili passer les fêtes en
compagnie d’Alejandra (voir chronique 9). Je suis
ensuite revenu à Buenos Aires où j’ai
continué ma lutte prolétaire pendant un bon
mois avant de repartir, cette fois à Tucumán,
au nord de l’Argentine. Outre la possibilité
d’y travailler comme serveur, je me suis vu offrir
l’opportunité d’intégrer une ONG
qui s’occupe de la prévention du SIDA avec
les travestis et les prostituées. Bien que plus ou
moins bénévole, ce travail me stimulait beaucoup
pour les tarifs préférenti… heuuuu,
pardon, pour son côté hautement humain et enrichissant
au niveau personnel. Malheureusement, je me suis vu obligé
de quitter précipitamment Tucuman sous peine de lynchage
public pour une nébuleuse histoire de cœur.
En réponse à ce coup du
destin, et vu l'absence de réponse à mes candidatures,
j’abandonne définitivement ma tentative de
concilier "Argentine" et "travail" et
décide de rentrer au pays des moules. J’en
profite d'être dans le nord de l'Argentine pour aller
dire au revoir a Alejandra qui se trouve à ce moment
dans sa maison de
famille au nord du chili. En passant la frontière,
J’aurai la joie de revoir le volcan Licancabur que
j’avais pris en photo lors de l’expédition
sur l’Altiplano bolivien huit mois plus tôt
(voir chronique n° 7), mais de l'autre côté.
On est arrivé ainsi jusqu'à 5000 mètres
d'altitude, sans problème jusqu'à ce que la
moitié du bus se mette à vomir, une véritable
réaction en chaîne comme dans le jeu de gestion
"Theme Hospital" pour ceux qui connaissent...
Très fun ! Sauf l'odeur...
Je suis alors retourné à
Buenos Aires dans un trajet de 61 heures de bus (37 heures
de route et 27 heures d'attente, le cauchemar du routard)
pour y acheter mon billet de retour. Affectionnant plus
que jamais les plans "B", je m’inscris à
l’université afin de bénéficier
des tarifs étudiants presque deux fois moins élevés
sur les destinations européennes. La date du retour
étant fixée le 21 mars (nous sommes à
la mi-février) je décide de repartir une dernière
fois pendant trois semaines visiter les destinations proches
que je ne connaissais pas encore.
J'entame
cet ultime périple par la visite de Montevideo avec
Laura, une amie uruguayenne rencontrée lors d’une
excursion mémorable en mountainbike (50 km avec un
frein qui freine sans arrêt, et je ne m'en suis même
pas rendu compte). Nous sommes allés dans la maison
d'un couple d'amis à elle, que je remercie encore
pour leur gentillesse sans borne. Située de l’autre
côté du Rio de la Plata par rapport à
Buenos Aires, mais plus à l’Est, Montevideo
fait immédiatement penser... à la côte
belge. Contrairement à la capitale Argentine, Montevideo
est complètement ouverte sur le Rio de la Plata et
présente de nombreuses plages de sable clair sur
lesquelles viennent s’échouer les vagues d’eau
douce et brunâtre du Rio. En fait de Rio, on a plutôt
l’impression de se trouver face à l’Atlantique,
l’autre rive de cette énorme embouchure étant
située à plus de soixante kilomètres
en face. Seule différence notoire : il n’y
a pas de mouettes. Et l’eau n’est pas salée.
Si on oublie la mer, la capitale uruguayenne
fait indéniablement penser à Bruxelles, avec
son atmosphère relativement tranquille, ses nombreux
parcs, ses bâtiment des années 40-50, ses bus
jaunes, sa population agée et ses crottes de chien...
Il se peut que je sois complètement obnubilé
par la Belgique vu mon retour imminent mais il m’a
semblé voir de nombreuses similitudes entre ces deux
pays, peut être étant donné leur taille
réduite en comparaison de leurs imposants voisins.
L’Uruguay est le second plus petit pays d’Amérique
du Sud et fait office de zone tampon entre l’Argentine
et le Brésil. On y compte trois millions d’habitants
dont la moitié vit à Montevideo,
à comparer avec les 36 millions d’argentins
mais surtout les 180 millions de brésiliens. Comme
la Belgique, l’Uruguay connut un glorieux passé,
entre 1920 et 1960, et la capitale regorge de vestiges art
déco témoignant de cette époque dorée,
comme par exemple l’emblématique Palacio Salvo.
Enfin, similitude troublante, Montevideo se proclame fièrement
capitale du "Mercosur", le marché commun
d’Amérique du Sud.
On doit le nom de la ville à
un marin portugais qui aurait déclaré "j’ai
vu un mont" (Monte vid eu) et qui, bien que portugais,
n’était pas bigleux, il y a en effet un mont.
Ceci discrédite définitivement la thèse
soutenue par certains, dont mon père, selon laquelle
le nom aurait une origine française douteuse évoquant
une ascension rapide et élevée. Mon père
affectionne d’ailleurs toujours s’esclaffer
à la mention de la question : "T’habites
Montevideo ?"… Allez comprendre !
Je suis resté une semaine dans la maison de Cécilia
et Nicolas, avant de partir visiter la fameuse côte
uruguayenne. J'ai fait l'impasse sur Punta del Este, véritable
Saint-Tropez sud-américain, pour me rendre directement
à La Pedrera, une plage plus sauvage et isolée.
Tellement sauvage et isolée que je n’y resterai
que deux jours avant de m’en aller, en mal de compagnie,
vers Florianopolis, au sud du Brésil, dont j’ai
entendu beaucoup de bien de la part de mes amis argentins.
Me voilà donc dans cette ville
frontalière qui répond au doux nom de Chui
et attend mon bus de nuit pour continuer mon intrusion au
sud du Brésil. Ici les gens parlent tous "portuñol",
un savant mélange entre le portugais et l’espagnol...
Il me reste exactement deux semaines avant le grand départ,
et je compte bien en profiter !
29 mars 2004, Bruxelles, Belgique
Voilà
une semaine que je suis rentré et j'ai déjà
grossi de deux kilos! Je ne peux résister aux bières
spéciales ni à la cuisine de maman. Ceci dit,
pas de remords, c'est provisoire. Par contre, je n'ai pas
encore eu la chance de déguster une bonne frite sauce
andalouse...
J’en profite d’être
un peu plus tranquille pour terminer de rédiger cette
dixième chronique. En plus des nombreuses retrouvailles,
il m’a fallu remplir une série d’obligations
administratives indissociables de mon plat pays qui est
le mien, et c’est d’ailleurs avec un soupçon
d’orgueil et de trémolo dans la voix que je
vous annonce être à nouveau officiellement
chômeur complet indemnisé, oui madame ! Mais
trêve de bavardage, je reprends où j'en étais...
Depuis la frontière Urugo-Brésilienne,
à peine dix-sept heures de bus me séparaient
de Florianopolis, le paradis des chiropracteurs... Jamais,
au grand jamais de ma vie je n’avais vu autant de
jolies filles au mètre carré ! Mon cou se
souvient encore du traitement que je lui ai fait subir,
le pauvre. Mes yeux aussi d’ailleurs. Ils devraient
en interdire l’accès aux cardiaques, les insensés!
La
ville s’étend à moitié sur le
continent et à moitié sur l’Île
de Santa Catarina, qui regorge de plages en tous genres,
du clone de la plage de Mariakerke au lagon sauvage caché
par la jungle en passant par la plage isolée hantée
par quelques surfeurs en quête d'adrénaline
et de marijuana. Durant les mois d’été
(de décembre à février), Florianopolis
est le repaire privilégié des argentins aisés.
Mais en mars, qui correspond pour nous à septembre,
l’endroit est beaucoup plus calme, on n’y croise
presque que des brésiliens.
Après une semaine bien sympathique
passée à regarder dans tous les sens en compagnie
des membres de mon auberge de jeunesse internationale (l'un
d'eux fêtait ses... 72 ans), je suis parti pour laisser
la place aux nombreux nuages qui s'amoncelaient à
l'horizon et qui marquaient l'aube de ma dernière
semaine de voyage.
J'ai pris le bus en direction de Córdoba,
la dernière destination touristique importante que
je ne connaissais pas encore en Argentine. Durant le trajet
presque routinier de 42 heures, j’ai eu la chance
de rencontrer Mariela, une future guide touristique qui
me fera visiter la deuxième plus grande ville du
pays. Cité universitaire autant que berceau historique,
Córdoba est ma foi bien agréable à
vivre et je comprends l’engouement des argentins qui
en ont fait la première destination touristique nationale,
même si les touristes étrangers ont tendance
à la négliger, à tort.
J'aurais
aimé pouvoir rester plus longtemps à Córdoba
et apprendre à connaître un peu mieux cette
magnifique région qui l'entoure. Nous avons tout
de même eu la chance d'aller visiter la maison d'Ernesto
"Che" Guevara dans les faubourgs de Córdoba,
plus exactement dans le village d’Alta Gracia. Le
petit Ernesto souffrant d'asthme, ses parents, issus de
la bourgeoisie moyenne, y ont emménagé en
raison de l'air sec et pur qu'on y trouve. Son surnom de
"El Che" lui vient de sa manie d’argentin
à employer sans cesse le mot d’argot "che",
utilisé pour attirer l’attention de quelqu’un
(À moins qu'il n'éternuait sans cesse?). Bref,
toujours est-il que dans les années cinquante, "le
Ché" a entamé un tour d’Amérique
du Sud en moto durant lequel il tomba amoureux de cette
région du monde et jura se battre jusqu’à
la mort pour défendre ses idéaux et sa liberté.
À force de dire "ché", et malgré
son léger handicap, "Le Ché" devint
connu, si bien qu'il entama la révolution cubaine
aux côtés de son fidèle ami Fidel Castro.
Avec mon oreille gauche qui ne fonctionne
pas, je pense que moi aussi je vais finir par devenir quelqu'un,
en Belgique ou en Amérique du sud... Et puis moi
aussi j'adore les cubas libres! Je jure dès lors
solennellement me battre jusqu'à la mort pour défendre
mes idéaux, ainsi que mon droit et ma liberté
à manger une bonne frite sauce andalouse.
¡ Hasta siempre !
Che Patrick
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